le crépuscule du bleu

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tu m’appris le bleu,
le bleu centre de tout
(…)
bleu natif

© isabelle gouttard

En forêt, le crépuscule enfile ses habits d’illusion, déforme les plis des grands arbres et défait l’ourlet du tapis de feuilles. Cette vision fantomatique invite à la rêverie, aux dialogues imaginaires entre des personnages, entre les arts. La tombée d’un jour d’hiver accentue le trouble dans le regard, le froid au bout du nez. Cette chute des heures de feu à celle bleutée, puis ce passage entre chien et loup, cernent le jour passé, cèdent la place au songe d’une nuit d’hiver. Que va-t-il rester de ce moment, à part un peu de buée sur les vitres, d’odeur de feuilles mouillées et d’un cri de chouette au loin ? Comment transcrire le drapé d’un jour finissant sur le silence ? Regarder tous ces arbres centenaires, mesurer la patience du temps, en imaginer quelques métamorphoses : des rames de papier, des pagaies pour les barques, l’écritoire, les bûches dans le foyer, une souche pour les terriers et les mousses, l’écorce pour les larves, les arabesques pour un violon, les nervures pour un pinceau, les tuteurs pour les haricots, des pages pour les livres…

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Rangés sur l’étagère, les livres connaissent des migrations irrégulières à travers le temps et les chapitres de notre vie. Il suffit parfois d’un événement, d’une sensation, bref d’un goût de petite madeleine, pour qu’ils transpercent le voile de silence et de poussière. Alors soudain, les mots s’envolent des pages jaunies pour déposer une nuée d’encre fraîche près de nos oreilles. Ils arrivent discrètement pour nous donner de nos nouvelles. Parmi eux, certains subissent un purgatoire inévitable pour dissiper une déception amère après un enchantement initiateur et pouvoir continuer provisoirement le chemin sans eux. Et puis, un jour, on ne sait pourquoi, ils reviennent tel l’enfant prodigue et nous les accueillons à livres ouverts, ils nous racontent le temps, celui de ces années avec eux, puis de celles loin d’eux, leur voisinage, leurs empreintes, nos souvenirs et notre oubli. Ils ouvrent leurs pages de lumière, comme un ange sur nos épaules, comme l’oiseau prophète, ces quelques notes de Robert Schumann sur le piano qui voltigent au cœur des Scènes de la forêt.

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Ainsi, ce livre de Peter Handke, Essai sur la journée réussie, dont la lecture a laissé des traces fluctuantes au cours de ces vingt dernières années et dont le titre déclencheur m’interpelle encore, tant il résonne comme un chemin à vivre, lequel chemin n’est pas si facile à suivre, tant les ornières peuvent freiner le fragile élan des heures qui défilent suivant la couleur du ciel, du coeur et des saisons. Ce titre qui s’agrippe à nos humeurs autant qu’à nos rêves, éliminant d’emblée un trop plein d’ambition puisqu’il ne s’agit que d’un essai, donc d’une tentative pour être au mieux avec soi-même, compte tenu de tout ce que peut contenir une journée en bonheurs, émerveillements, surprises, tracas, contrariétés, fatigue, pollution, routine, énergie, que sais-je encore ? Il ne s’agit pas de vivre une bonne journée comme on nous le souhaite quodiennement, mais de la réussir. La nuance, bien qu’insidieuse, revêt ici toute son importance !

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J’essaie de tracer dès le matin, une ligne de beauté et de grâce qui épouse le mouvement du monde, accueille ses moments de magie sans se briser face aux instants déplaisants, demeure souple et nette tout en laissant place à ce qui ne se contrôle guère.

Ces quelques lignes magnifiques et fluides, dont pas un mot ne dépasse l’autre, peuvent aisément se transposer à tout moment de notre existence, en donnant le meilleur de nous-mêmes et en ressentant simplement l’humilité requise pour accueillir cette sensation de joie qui peu à peu nous étreint, cette joie imprenable (Lytta Basset), bien loin de celle, fugace, qui surgit en éclatant lorsque le succès est au rendez-vous.

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D’une ligne à l’autre, celle de l’œil qui suit la course du collembole, déjà hors cadre, celle du doigt qui déclenche un tout petit peu trop tard… et laisse une image, presque rien, juste une impression de bleu, juste une surprise, et pourtant, là sur l’écran, ce je n’osais espérer, atteindre, oui, réussir… Ce bleu, qui m’accompagne depuis toujours, accourt dès que le jour se lève, se concentre juste avant la nuit, relie le ciel et la mer, les vivants aux absents, blanchit les vagues, les ailes d’un ange qui passe pour nous donner un signe, juste un murmure pour continuer notre vie, ce bleu recèle ses mystères et ses silences près des peintres, le voilà qui convoque la présence de Geneviève Asse et emprunte sa quête absolue :

Le bleu, c’est l’espace. Et puis la liberté : le sentiment de la liberté. (…) Je crois que mon bleu n’est pas tout à fait un bleu. Il me contient. En plus, il y a l’air, l’eau, l’ardoise si je me penche vers la terre. Il peut y avoir tant de choses dans ce contenu du bleu. Aussi une espèce de joie. Le bleu vous remplit de joie.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2013

 

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in memoriam isa qui aurait eu 50 ans aujourd’hui

 

* livres de chevet :

Essai sur la journée réussie, un songe de jour d’hiver © Peter Handke
Editions Gallimard et en format poche : Folio

Un été avec Geneviève Asse © Silvia Baron Supervielle
Editions L’Echoppe

* Ecouter le Vogel als Prophet de Robert Schumann (Waldszenen opus 82 Nr. 7) : ici

 

 

 

 

 

olé !

collembole 1 ©sb .2013

Me promenant dans les bois, je batifole,
A toujours chercher les bestioles,
Les minuscules au ras du sol,
Pour les trouver, juste plier les guiboles,
Et se mettre un peu de traviole,
De ces moments, je raffole.
collembole 2 ©sb .2013

 

Et sentir le froid qui dégringole,
Soulever les feuilles qui s’étiolent,
Pour cela, je suis toujours bénévole,
Vous présenter la joyeuse farandole
De mes amis les collemboles,
Pour eux, une souche est une acropole.

 
collembole 3 ©sb .2013

 

Regretter les programmes d’école,
Pendant les cours, beaucoup de paroles,
Entre particules et hyperboles,
Pas de place pour la faune sylvicole,
Ni pour les oiseaux limicoles,
Juste un poème pour le rossignol.
collembole 4 ©sb .2013

Une éducation pour la gloriole,
Sans jouer les marioles,
Et surtout pas la gaudriole
Sinon, gare aux torgnoles,
Pendant la crise du pétrole,
Le MLF et la Cage aux folles.

 
collembole 5 ©sb .2013

Au temps de l’âge tendre des idoles,
Oh oui, laisser Sheila à ses gondoles,
Pour flâner avec Barbara aux Batignolles,
Voilà, les années remontent du sous-sol
Et pourtant, ce n’est qu’un survol,
Je passe sur celles trempées dans le vitriol.

 
collembole 6 ©sb .2013

De l’enfance au pays de Pagnol,
A celui du fromage qui colle,
Avec des vacances sous le parasol,
La vie s’infiltre comme Rocambole,
Les mots, les notes, clé de fa, clé de sol,
Dans toutes les langues, même en créole.

 
collembole 7 ©sb .2013

Pour la photo, tout un protocole,
Sur l’objectif, j’ajoute des babioles,
Avec des bonnettes, je bricole,
Les gouttes au soleil deviennent des alvéoles,
Sur l’appareil, je pose une camisole
Pour émettre un doux déclic qui cajole

 
collembole 8 ©sb .2013

Le collembole vit en milieu humicole,
Les feuilles mortes les affriolent,
Surtout quand elles sont molles,
En génial composteur, il rafistole,
Et presque jamais ne somnole,
Peu de temps pour la carmagnole.

 
collembole 9 ©sb .2013

Une vie de 1 ou 2 millimètres au sous-sol,
Si discrète et loin des guignols,
Gardant toujours son self-control,
Quand il s’agit de grimper un col,
Ou de glisser comme sur du papier bristol,
Oui, bien loin des branquignoles.

 

 
collembole 10 ©sb .2013

Au moindre geste, il s’affole,
Saute à dix lieux et cabriole,
Avec d’autres, vite, caracole,
Tout le troupeau, il carambole.
Avec ses couleurs de vache espagnole,
Lui, pourtant, ne passera pas à la casserole.

 
collembole 11 ©sb .2013

Sous le vent jamais ne décolle,
De la terre, devient porte-parole,
Du précieux humus, le symbole,
De la biodiversité, la parabole,
Sans garder le monopole,
Faudrait lui prévoir une auréole !

 
collembole 12 ©sb .2013

Pendant qu’il bosse, j’extrapole,
Bientôt le printemps des nivéoles,
Et les heures où je m’isole,
Déjà vers d’autres lucioles,
Grâce aux massifs horticoles,
Et aux prochains semis de scaroles.

 
collembole 13 ©sb .2013

Orientée par ma boussole,
Il est temps de retrouver ma bagnole,
Grâce à lui, j’ai décroché le pactole,
D’un bonheur pas frivole,
Ses étrons en guise d’obole,
Pas besoin que je cambriole.

 
collembole 14 ©sb .2013

 

C’est la fin, alors je fignole,
Mon ode aux collemboles,
Sans ailes pour qu’ils s’envolent
C’est bien ça qui me désole,
Un mot avec 2 L sur ma banderole,
Mais oui, croyez-moi, là, je rigole :

LOL

 

© sylvie blanc – l’envol des jours 2013

Pour continuer avec les collemboles, je vous invite à aller vers le site du photographe Jean-Pierre Bertrand  dont j’apprécie le regard sensible et émerveillé. Vous trouverez des petits bijoux, à toutes les saisons, (dans son portfolio choisir microfaune du sol), avec un coup de cœur pour ses nouvelles images de collemboles sur la glace : c’est prodigieux !

c’est une mésange bleue, accrochée à sa cantine…

mésange bleue 1
Le jardin dans son aube hivernale est sombre et silencieux. La cime des arbres dessine des ombres chinoises. La terre retient son haleine sous un manteau glacé. Difficile d’imaginer toute la vie qui grouille au sous-sol ! Aux premières lueurs du jour, un chant perce le ciel, se pose sur une branche. Il vient tous les matins et restera jusqu’au crépuscule. Ce chant jaillit de nulle part. Un chant qui appelle. Peu à peu, il se multiplie. La journée peut commencer. Les mésanges sont là. D’où viennent-elles, où dorment-elles ? Mystère, mystère… de mes anges d’hiver.

mésange huppée 1
Présentes sur terre depuis une vingtaine de millions d’années, c’est dire si les mésanges ont eu largement le temps de se passer de nous et de nous accueillir. Entre temps, elles ont survécu à plusieurs mutations. Elles sont aujourd’hui des espèces protégées. Mais survivront-elles à ce que nous faisons de notre planète, à ce que nous leur proposons pour vivre ? Peut-être. Les capacités de résistance et d’adaptation de ces vieilles dames toutes guillerettes sont étonnantes quand on pense qu’elles ne pèsent que quelques grammes !

mésange noire

Autrefois, elles vivaient surtout dans les haies, les bois et les forêts. Là elles trouvaient de beaux arbres pour avoir de quoi vivre, manger, nicher, se reproduire. En hiver, le bocage fournissait les baies en attendant le retour du printemps et des insectes. En supprimant ces lisières des champs dans le but de cultiver toujours plus pour un meilleur rendement, c’est toute la faune qui a du aller voir ailleurs si la vie était meilleure. Après avoir répandu le pire de ce que nous savons faire, détruire, nous tentons d’offrir aux mésanges et autres oiseaux sédentaires, le meilleur de nous-mêmes, un peu de notre attention.

mésange bleue 2Quelques espèces parmi la grande famille des mésanges, des plus communes au moins fréquentes, suivant les régions et les saisons, apprécient de se réfugier dans nos jardins quand ceux-ci les éloignent aussi de cette menace pesticide qui peut décimer en un rien de temps des colonies entières. Elles sont précieuses pour la vitalité de nos vergers tant elles sont friandes dès le printemps de chenilles pour nourrir leurs nichées, lesquelles chenilles pourraient mettre nos pommiers à terre. Mais pour compléter leur appétit gourmet, elles picorent aussi volontiers les groseilles, cassis et tous les autres petits fruits. Il est pourtant facile de limiter les dégâts pour garantir nos coulis en disposant un filet protecteur. Les solutions chimiques existent aussi pour éviter ces désagréments, et même des produits compatibles avec le jardinage bio, mais avouez que la présence de ces passereaux magnifiques qui animent le jardin, particulièrement en hiver, est une bonne raison de plus pour faire le gros dos, et ce, définitivement, à cette arnaque dévastatrice. Trouver un peu de paix, tout près de chez soi, n’a jamais fait de mal à personne !

mésange charbonnièreLes mésanges mangent toute la journée. Du moins en donnent-elles l’illusion. Hyperactives, très agiles et toujours sur le qui-vive, elles savent aussi parfois attendre leur tour. Elles sont voraces et déterminées, n’hésitent pas d’un coup d’aile à évincer tous ceux qui les empêchent de manger. Cependant, on n’assiste pas à des bagarres spectaculaires, comme c’est le cas bien souvent avec les verdiers ou les chardonnerets élégants. Elles sursautent au moindre bruit et mouvement, s’éparpillent dès que le prédateur tant redouté montre ses moustaches et ses pattes de velours, puis tentent aussitôt un retour vers la mangeoire dès que l’horizon se dégage.

mésange nonetteNourrir et donner à boire aux mésanges et aux autres passereaux en hiver, est l’occasion de leur offrir tous les jours un bon coup de pouce pour qu’ils puissent trouver facilement de quoi reconstituer leur poids qu’ils ont perdu pendant les nuits glaciales. C’est aussi pour nous le moment idéal pour les observer, apprendre à les reconnaître, les différencier, pour remarquer leurs comportements, leurs jeux, leurs acrobaties et leur solidarité. Aussi pour que l’hiver voltige dans nos jardins en dormance, sur nos balcons désertés. Dès que les insectes se réveillent, les mésanges retrouvent rapidement un milieu plus sauvage mais aussi les parcs des villes, tout en ayant la gratitude de venir faire un petit tour d’inspection dans nos jardins afin d’en préserver la vigueur et les prochaines récoltes.

mésange bleue 3Regarder ces ailes qui dansent sur la scène hivernale et nous offrent ce besoin de rester émerveillés à toute saison, en dépit de la hauteur et de la couleur du ciel, écouter leur cri d’appel devenir chant d’amour déjà fin janvier, sentir la joie monter en reconnaissant les signes d’une annonce, celle de la fête du renouveau, et laisser venir ici les mots du poète, ceux de Philippe Jaccottet,

(C’étaient, je m’en avise, des couleurs de mésanges, des couleurs dites froides, portées par des oiseaux d’hiver. Dont le nom rime avec ange, alors que ce sont de vrais petits ogres ailés, voraces et batailleurs.)

© sylvie blanc – l’envol des jours 2013

mésange huppée 2
* Livre de chevet : Cahier de verdure © Philippe Jaccottet

Editions Gallimard et en format poche : Poésie/Gallimard

 

et pour mieux connaître les mésanges :

Les mésanges – Georges Olioso – Editions Delachaux et Niestlé
Coccinelles, primevères, mésanges… la nature au service du jardin – Editions Terre vivante
Mésange mi-démon (N°196) Revue la Salamandre

Vous trouverez les liens de ces 3 éditeurs  : ici

course poursuite dans le jardin

crambus 1 ©sb .2013
Que ce soit à pas menus ou à grandes enjambées, il vous est sûrement arrivé de soulever une minuscule nuée blanche en marchant dans l’herbe, celle de votre pelouse ou celle, plus sauvage, d’une friche livrée joyeusement à elle-même. A chaque envolée, ma curiosité était piquée au vif.
crambus 2 ©sb .2013
Il me plut alors de chercher à connaître cet insecte que j’avais bien involontairement dérangé pendant son repos, voire pendant son sommeil. La quête de ce poids plume dans l’immensité de l’herbe s’avéra exaltante.
crambus 3 ©sb .2013
Elle peut mettre à l’épreuve plusieurs zones réactives et personnelles tout en provoquant malgré soi une agitation perturbante pour ce petit bout de vie qui a élu domicile justement là où le danger d’être écrasé était le plus risqué. Faire figure d’importune n’est pas un rôle agréable au premier abord, ce d’autant que bousculer un papillon n’est pas dans mes habitudes… Me voilà donc navrée et intriguée.
crambus 4 ©sb .2013
Qui pouvait bien se cacher ainsi dans l’herbe ? Pourquoi choisissait-il ce tapis à basse altitude alors que les massifs tout à côté, érigés comme des gratte-ciel, proposaient un choix varié et protégé de tiges fines et délicates ? Etait-ce pour me narguer de sa capacité à voleter malgré la menace massive de mes pas ?
crambus 5 ©sb .2013
Ou tout simplement pour que je le regarde, que je lui offre un peu de mon temps et de mon attention ? Voulait-il jouer à cache-cache, sachant que, pour moi, c’était perdu d’avance ? Allez savoir ce qui se passe dans la tête de ce petit magicien ! Toujours est-il que je me suis prise au jeu !
crambus 6 ©sb .2013
Toute affaire cessante, dès je percevais sa présence, je partais à la conquête de cet inconnu dans le jardin. Bien sûr, s’armer de patience et de persévérance est vivement recommandé tant ce défi ressemble en tout et pour tout à chercher une aiguille dans une botte de foin !
crambus 7 ©sb .2013
Faire chou blanc est fréquent pour ce type d’aventure. Cependant, comme partout, le facteur chance n’est pas négligeable et revêt ici toute son importance. Une lumière rasante peut aider à ne pas éblouir notre regard juste au moment où il choisit sa cachette. Par ailleurs, notre bougre peut se montrer coopératif et nous faciliter la tâche en se posant par miracle sur le brin d’herbe le plus élevé.
crambus 8 ©sb .2013
Comme il est surtout actif la nuit, on peut apprécier que cet état de somnolence au cours de la journée contribue à améliorer la séance de repérage. Une fois localisé, il vaut mieux carrément se mettre à plat ventre et tenter de se faire le plus discret possible…
crambus 9 ©sb .2013
La sagesse est d’attendre quelques instants pour qu’il reprenne le cours de sa sieste dans son hamac tissé de graminées. Il ne reste plus qu’à espérer de ne pas attraper de crampes juste au moment où le Crambus des jardins (ainsi se nomme-t-il) va nous dévoiler ses allures de Merlin, ses ailes parfaitement repliées, le drapé duveteux de sa robe à rayures, ses yeux d’un bleu pâlot, ses fines et longues antennes.
crambus 10 ©sb .2013
Le confort peut varier d’un règne à l’autre puisque que lui, préfère vivre le plus souvent la tête en bas. La famille des Crambidae compte quelques 300 membres en Europe et il n’est pas rare de croiser ici ou là des cousins proches ou éloignés.
crambus 11 ©sb .2013

En observant cette parentèle, on peut alors se trouver nez à nez avec certains qui se prennent pour des cardinaux ou même le pape, tant qu’à faire…
crambus 12 ©sb .2013
Prendre le temps de surprendre sa pensée en imaginant une réalité inversée et de voir les pontes du Vatican se transformer en papillons, et pas des moindres puisqu’ils se classent parmi les plus petits, presque des mites en somme, lesquels vous regardent à présent du haut de leur chaire en pissenlit, prêts à clamer leur sermon… qui se résume finalement en peu de mots : arrêtez vos tondeuses et laissez-nous tranquilles.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2013

babilles votives

ej 446 ©sb .2012Après avoir survécu au peu probable big bang, nous voici convoqués aujourd’hui, pour la balle de match entre 2012 et 2013, et ce n’est pas une blague. Encore quelques heures de bisbilles avant de se faire la belle. Mais 2012 sait bien que la balle n’est plus dans son camp. La boucle sera bien vite bouclée. Alors, elle reprend ses billes, baille déjà, se roule en boule, et prend le temps d’une nuit pour rentrer dans sa bulle. Bille en tête, 2013 a plus de bol, saisit la balle au bond, centre son niveau à bulle pour garder l’équilibre, tintinabulle aux douze coups, se fait belle, pour toucher sa bille auprès des jours à venir. Et moi, je n’ai pas besoin de stylo à bille pour vous remercier de tous les billets doux sans blabla que vous avez postés sur ce blog, et pour souhaiter que vous viviez une belle et bonne année, sans ras le bol ni coupes trop pleines ou autres coups de blues, sans vous renvoyer la balle tout en refusant le moindre bluff, ni trop occupés à compter vos billes (sans vouloir vous blâmer, cela vous rendrait blêmes), résistant aux bugs à venir, mystère et boule de gum, et surtout, restant rebelles à tout ce qui blinde vos envols mais sans vous brûler les ailes, ceci afin de profiter, à chaque instant loin des modes bling bling, des bulles légères et brillantes que vous soufflerez sous le soleil de vos coeurs.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

solstice d’hiver

ej 458 ©sb .2012
et la lumière brille à travers la nuit,
la nuit ne l’a pas saisie
Jean 1:5

Dans l’hémisphère Nord, le solstice d’hiver scelle le passage de l’automne à l’hiver, du jour le plus court à la nuit la plus longue, annonce la pirouette d’une année qui s’achève vers celle qui commence. C’est le jour où littéralement le soleil s’arrête. Non de briller mais d’agrandir ou de rétrécir les jours.
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Ce temps de repos enjambe les heures jusqu’à la nuit de Noël, attise l’attente des impatients et coïncide souvent avec une trêve dans la vie des êtres humains. Le soleil s’éclipse donc pour nous faire vivre un peu plus dans l’obscurité. Autant dire qu’il nous invite à chercher la lumière ailleurs que dans le ciel, autrement que sous nos yeux.
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Ayant constaté que souvent le soleil nous abandonne en fin d’année au profit d’un ciel gris, bas et grumeleux, de pluies éparses ou insistantes, de vents tempétueux, au mieux de giboulées de neige, nous sommes contraints d’éclairer nos journées et nos humeurs avec quelques effets flamboyants.
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Ceci pour nous donner du courage et du cœur à l’ouvrage. Ou pour nous préparer à sa proche renaissance dès que les jours vont grignoter quelques minutes ici ou là et nous emmener vaillamment vers le printemps.
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Que nous soyons croyants ou pas, les fêtes chrétiennes qui jalonnent les semaines de décembre jusqu’à l’Epiphanie, inspirent nos faits et gestes, nos choix et nos chansons, nos contes et nos réverbères, en s’inscrivant dans l’iconographie collective.
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Du côté de la nature, l’heure est au repos aussi. Pas pour tout le monde bien sûr. Les vivaces hibernent, les bulbes se revigorent, les plantes gélives se barricadent sous une yourte de feuilles, les arbres bourgeonnent déjà, la terre s’engourdit. Le monde végétal se ternit à l’exception des beaux sapins, du moins pour ceux qui ont la chance de s’agripper dans nos montagnes et d’échapper à la tronçonneuse.
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La nature dispose de peu de babioles pour peaufiner sa décoration en cette saison décolorée. Une fois de plus, elle compte sur le ciel pour se transfigurer. Menée à rude épreuve, elle s’adapte aux morsures du froid pour se cristalliser.
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Et c’est en toute discrétion, qu’elle dépose ses diamants dans un écrin de gel, ses guirlandes serties de pluie et ses bulles pétillantes dans la brume qui se découvre lentement. Elle se moque de cette situation éphémère, refuse de se plaindre de son proche étiolement, trouvant de la beauté à tout instant et dans chaque brin de vie qui résiste.
ej 461 ©sb .2012La nature supporte avec sagesse l’indispensable légèreté de l’air qui réduit à néant ses confettis glacés et réserve ses promesses de sève pour des jours plus lumineux. A nous de l’écouter nous raconter l’histoire de la vie sur terre, de l’aimer avec toutes ses forces, ses luttes et ses secrets. De l’aimer avec tous ses êtres. A nous de croire en elle, de suivre son étoile vivante, car c’est elle, finalement, qui nous porte, nous transporte… et nous emporte ! ej 451 ©sb .2012

Et d’écouter son vœu silencieux,

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au coeur
d’un murmure de brume,
d’un froissement d’ailes,
d’un grain d’eau,
d’une poussière de terre,
d’un flocon de lumière,
d’un souffle de feuilles,
de tout éclat de vie,

ej 459 ©sb .2012
«gardez-moi vivante afin que ma joie demeure pour vous ! »

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

les abat-jour de l’automne

 

Ils sont nés de la dernière pluie. Ils se posent en silence sur un tapis de feuilles, se cachent dans les encoignures des arbres, grimpent sur une souche abandonnée et se contentent d’un peu de lumière pour animer les salons de l’automne. Ils fascinent qui les regarde, régalent qui les cuisine, hallucinent qui les convoite et affolent qui les craint.

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Parfois, ils servent de solarium ou de toboggan aux derniers insectes de la saison. Lilliputiens ou sumos, ils sont de toutes les formes, de toutes les couleurs, tantôt chapeaux, tantôt lutins sortis de nulle part, parfois phalliques ou plutôt trampolines pour des feuilles acrobates.

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Fragiles comme du papier de soie, gluants comme de la résine, suintants comme un soir de novembre, solitaires comme ces marins qui font le tour du monde, grégaires en fin de transhumance, ils signalent discrètement leurs présences d’un éclat de lampe allumée en fin de journée.

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Au jardin, ils profitent de la trêve des tontes rapprochées pour s’ériger subitement dans l’herbe. Leur vélocité à grandir intrigue les végétaux voisins qui mettent tant de temps à lever, puis fleurir et s’offrir à la cueillette. Ils taquinent les assoiffés du potager qui réclament goulument des litres d’eau, quand eux se contentent d’une bruine, d’un ciel bas ou de la rosée matinale.

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Ils perturbent, voire découragent, les néophytes tant ils sont nombreux et tous différents, fascinent les spécialistes en mycologie, inspirent les artistes, les architectes, étonnent les petits (et les grands aussi) qui cueillent là des bouffées d’automne dans les narines du temps, traversent des contes, des légendes, s’illustrent dans des expressions incontournables.

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Prenons appuyer sur le champignon, là, il faut remonter au temps révolu des premières automobiles, lorsque l’accélérateur ressemblait à une moitié de pomme. Aujourd’hui, plus rien de ressemblant mais l’expression demeure, indifférente au temps qui passe et à la courtoisie élémentaire quand il est même fortement conseillé de lever le pied… ej 444 ©sb .2012

Incontestablement, ils seraient bien passés de l’iconographie atomique. Pathogènes, invisibles et informes quand ils attaquent insidieusement les feuilles de betteraves. Epidermiques, intestinaux lorsqu’ils démangent les humains.

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Capables de coloniser des arbres, des haies entières, des arabesques de buis au point de les détruire irrémédiablement. Toxiques, venimeux, mortels, autant de dangers à retenir avant de les trancher d’un coup de serpette.

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Ils alimentent les fantasmes, contribuent aux rites sacrés, symbolisent spirituellement la montée au ciel. Plus concrètement, ils sont de toutes les saisons, s’animent dès que l’humus s’attendrit et signalent un lopin de terre resté encore sauvage.

C’est finalement le plus important. Tout cela pour un champignon qui n’a rien demandé d’autre que de pousser comme… bon lui semble.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

 

 

 

de l’ambre sous les paupières

D’un coup sec, leurs ailes claquent sur la ville. Leurs cris s’allongent vers le ciel, déchirent le voile d’air au-dessus de nos têtes. D’un roucoulement à l’autre, ils avancent d’un pas pataud sur les trottoirs, dodelinant de  la tête avec un air de dire ni oui ni non. Puis ils s’envolent et, sans vergogne, tapissent de leurs fientes gluantes et dégoulinantes, toits, rambardes, gouttières et pontons. Les pigeons sédentaires en agacent plus d’un.

Vénérés hier quand ils se faisaient messagers, mal aimés aujourd’hui quand ils sont soumis à des réglementations strictes pour éviter leur prolifération qui pourrait entraîner des désastres sanitaires et engendrer des maladies : interdiction de les nourrir, chez soi (balcons, jardins) et dehors où que ce soit. Qu’ils soient bisets, ramiers (palombes dans le Sud Ouest) ou colombins, ils risquent gros en quittant les villes et les villages, puisqu’une balle de chasse peut suspendre  leur vol définitivement.

Les plus sauvages d’entre eux tentent de se faire la belle vers les bocages, les forêts alentour, trouver un vieil arbre pour y vivre tranquille. Ils survolent des plaines immenses et monotones à la recherche d’un vieil arbre pour y vivre  et nicher tranquille.

Las de cette agriculture monochrome et dépeuplée de sa petite faune, ils s’installent encore plus nombreux dans les parcs et jardins des villes et villages, et prolifèrent. Alors les hommes  légifèrent à leur propos tout en autorisant l’agriculture intensive. Dans toute cette histoire, qui se prend pour un pigeon et qui se fait pigeonner ?

Parce qu’ils sont partout, qu’ils participent à notre quoditien en toutes saisons, les pigeons méritent à ce titre un tout petit peu d’attention, eux qui sont assaisonnés à toutes les sauces… Récemment, même la politique les a rattrapés… Il ne manquait plus que ça ! Il est bien loin le temps où les poètes posaient quelques vers sur la table des mots à la santé des pigeons et la faisait tourner en rimes, riches ou pauvres, là n’est pas l’importance.

A nous de les apprendre par coeur, surtout retenir in fine la morale des fables ! La vie se chargera de nous révéler sa véracité. Ou de croiser Lamartine rentrant de sa promenade près du lac, s’asseyant sur un banc et regardant des pigeons qui roucoulaient sur le mur. Ainsi, la poésie reste quelque part en nous alors les gouvernements se croyant immuables, de même que les lois,  passent, repassent, trépassent… tandis que les pigeons sont toujours là !

Comme les poètes ont toujours raison, en observant les pigeons d’un peu plus près, il arrive souvent de voir que deux pigeons s’aiment d’amour tendre. Assister à leurs élans roucoulants,  les regarder bomber le jabot qui devient alors une vraie caisse de résonance, chanter leur sérénade en petits sauts décalés et saccadés, suivre leur parade interminable d’une branche à l’autre,

écouter leur dialogue ponctué de silences pour mieux redoubler d’intensité, sourire de les voir déployer leurs ailes au plus large comme pour  tirer le rideau sur leur alcôve de feuilles. Les ailes claquent d’un coup sec encore une fois.

Puis c’est le silence.. Ils se posent enfin ensemble, se donnent des becs  au plus doux de leurs plumes. Se laisser surpendre par leur tendresse et préserver le secret d’ambre qui se cache sous leurs paupières.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

 

buffalo green

Le capitaine serra fermement la main du pépiniériste. Ce dernier venait  déposer en rang sur le quai les fruitiers destinés à traverser l’Atlantique. Les végétaux avaient belle allure et  les caisses pour les transporter étaient rutilantes. Des malles en forme de maisons miniatures,  avec une toiture ajourée, des bacs étanches pour retenir l’eau et tout un système judicieux de cales et de serrurerie afin de limiter le plus possible les conséquences d’une mer agitée.

Nous sommes au début du 20è siècle, la révolution industrielle continue sa route vers son apogée et sa chute, la guerre prochaine sillonne dans des souterrains que le peuple ignore, le commerce maritime s’inquiète de ces avions qui vont plus vite que les navires pour traverser les mers, le réseau ferroviaire s’amplifie et les barges restent beaucoup plus souvent à quai.

Le capitaine, responsable aussi du transport végétal, vérifie une dernière fois que les arbres et plantes sont bien protégés, arrosés et donne l’ordre de les embarquer au marin, jardinier à ses heures, qui s’occupe de tous les végétaux à bord. Préalablement, le pépiniériste avait garanti, pour éviter tout intrus, que le terreau broyé avec du compost avait été finement tamisé.

Seulement voilà, quand on est un as du camouflage et qu’on mesure 6 ou 7 millimètres, on peut facilement tromper la vigilance humaine et commencer en toute tranquillité sa première migration océanique. En effet, rien ne manque au membracide bison (retenez son nom !) pour vivre dans la cale d’un navire : de l’air chaud pour déployer les ailes, de la sève en abondance pour faire bombance (malheur à lui, puisqu’il sera vite considéré comme indésirable dans les vergers et les vignobles, et par conséquent, décimé sans vergogne par les pulvérisateurs empestés), une compagne pour se reproduire, et des feuilles pour se protéger du Gulliver à l’arrosoir.

C’est ainsi que ces insectes discrets débarquèrent dans le Sud de l’Europe, il y a à peine une centaine d’années. Pourtant vieux comme le monde, ce buffalo des friches est robuste au point d’être encore bien actif en automne, un brin farouche dès que vous approchez, plus rusé encore que le renard quand il  tourne autour de la tige et vous lance le défi de le démasquer.

Décidément peu aimé et en plus doté d’un corps épais et disgracieux, d’un regard vitreux aux allures bovines, d’une barbichette qui se résume en trois ou quatre poils par-ci par-là et pour compléter le tableau d’un minois entêté, voire renfrogné.

Bref, un rebelle qui rend sa présence si attachante… quand on peut le voir ! Saisir cette chance pour observer ce berlingot qui grimpe à vive allure le long des tiges. S’arrêter un instant sur le parvis de Notre-Dame des Fleurs, entrer à pas feutrés dans la cathédrale des herbes folles, s’agenouiller devant la rosace d’un tournesol et  découvrir enfin ce bossu qui n’a rien d’un misérable, révélant sous le soleil,  les vitraux qu’il cache sous ses élytres. Et ainsi déceler toute la finesse de cette minuscule étoile qui a déjà filé…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

Pour en savoir plus sur le transport maritime des végétaux (avec photos des caisses) : ici

du sable pour écrin

 

 

Le jour s’est déjà levé derrière la colline. Sur la plage, le temps tousse encore dans la brume de l’aube. La mer s’étire vers l’ouest et le sable grisonnant s’étale jusqu’au large. C’est le temps de l’estran, de la marée basse, de la lumière rase. Rigoles, canaux et dunes miniatures proposent leur miroir au ciel pâle.  A cette heure du passage entre la nuit et le jour, la plage respire en solitaire, se repose en sauvage, dépose ses histoires et ses secrets. Ses messages de plage abandonnée, ses bouteilles décapsulées et ses trésors cachés.

Ceux qui ont profité de la nuit pour noyer leur ivresse et leurs palabres viennent de quitter les lieux en prenant la plage pour une décharge et le mépris pour signature. Il est encore trop tôt pour les premiers baigneurs qui s’offrent à la mer par tous les temps. Les tracteurs nettoyeurs, cavaliers, promeneurs de chiens et pêcheurs ne sont pas encore arrivés.

Pourtant, malgré le vol des oiseaux et le roulis des vagues, la plage est silencieuse. Le silence et la solitude. Tout ce qui donne force intime au jour qui commence.

Il n’y a plus qu’à attendre, lever les yeux vers les ailes des goélands. Attendre qu’ils annoncent la couleur. Surprendre les premiers scintillements sur les vaguelettes et les pépites de sable à ses pieds.

Arrive un chercheur d’or avec une soucoupe sur un manche à balai. Pourtant, ce  qu’il va faire n’est pas sorcier. Il est là pour détecter d’éventuels oublis et faire fortune avec piécettes, bagues et autres breloques tombées dans les sables mouvants. Avec patience et obsession parfois, dues sans doute à l’attrait du gain, muni de son détecteur, il passe la plage au peigne fin. Son obstination doit être payante car chaque matin il recommence son balayage. Dommage qu’il ne profite pas de cette inspection méticuleuse pour ramasser les détritus… Il serait certain de ne pas rentrer les mains vides !

Nous nous regardons de loin, sans mot dire. Nous sommes là pour ne pas être dérangés. Ses écouteurs calés dans les oreilles m’avertissent et retiennent toute possibilité d’échange. Nous sommes là pour trouver les bijoux de la plage. A chacun sa méthode. Après, tout est relatif à la valeur des choses et du temps consacré à leur recherche. J’ignore s’il comprend la raison de ma présence à plat ventre sur le sable mouillé. Peut-être se dit-t-il que la plage en a vu d’autres, qu’il vaut mieux ne pas trop s’arrêter à de telles broutilles, tant qu’on ne lui pique pas son territoire. Pour cela, il n’y a aucun risque, le sable sec ne m’intéresse pas ce matin. Et pour tout l’or du monde, je n’échangerais pas ma place contre la sienne. La vie des gens…

Soudain, le soleil envoie ses premiers rayons et dévoile peu à peu les fantômes du sable. Il brille dans les mirettes de l’émerveillement et libère chaque coquillage de sa parure d’or, de reflets et de sable.

L’homme aux écouteurs poursuit sa quête de pacotilles, inlassablement. Le ciel vire au bleu. La plage s’adonne maintenant à tous ceux qui arrivent et qui ont tous leurs raisons de se trouver là ce matin. Ce qui ne les empêche pas d’écraser bruyamment les diadèmes que la mer avait posés en silence.

Il est temps pour moi de quitter la plage. Il a suffi de quelques minutes à peine pour amasser un butin d’une valeur inestimable.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

 

 

 

 

de l’émergence à l’envol

 

Assister à l’éclosion du vivant est certainement l’émotion la plus bouleversante qui nous est donnée à vivre. Sans doute parce que tout l’avenir s’écrit dans l’intensité de ce présent, dans la lenteur qui s’appuie sur le temps qu’il faudra pour donner force et vigueur à cet instant unique. Peut-être aussi parce que, n’ayant aucun souvenir de notre premier souffle, nous recherchons sans cesse le goût de cette première respiration afin de comprendre ce que nous sommes et de donner sens à ce que nous vivons. De même, cette quête incoercible peut nous aider à accepter tous les cycles de la vie,  tous,  jusqu’au dernier.

Avant d’émerger, les libellules vivent depuis belle lurette sous forme larvaire au fond des eaux douces et vaseuses. Elles sèment déjà la terreur dans la mare en avalant cru tout ce qui bouge, d’où leur mauvaise réputation d’être de redoutables prédatrices !

Après des mois, voire des années,  elles s’apprêtent à quitter le milieu aquatique pour  commencer leur dernier cycle de vie et passer la belle saison dans l’atmosphère.

En regardant leur larve dotée d’une coque rabougrie, de couleur indéfinissable, et d’une tête globuleuse, il est bien difficile d’imaginer  la réserve de beauté, de grâce et de couleurs blotties à l’intérieur. A moins de convoquer l’enfance, de faire revivre ce ravissement (et ce soulagement) lorsque Peau d’âne dévoile enfin son secret…

Pendant une nuit un peu plus chaude que les autres, les scaphandres décident de mettre le casque dehors et de se hisser sur le premier roseau venu. Quelques courageux tentent l’exploration de ce nouveau monde en choisissant alentour la délicatesse et le parfum d’une fleur… Mais l’heure est grave, le danger latent. Les amphibiens rôdent. Ils ont connu le désert des têtards et comptent bien prendre maintenant leur revanche. La guerre de la mare est déclarée. Bien camouflés dans la vase, ils guettent les nouvelles recrues. Ils n’ont surtout pas besoin de reflets dans leur œil d’or pour être prêts à bondir à la première occasion. Ici les crapauds n’attendent pas le baiser de la princesse, ni les grenouilles celui du prince. Et, pour les larves, impossible de faire pattes arrière.

Pour les odonates (et soit dit en passant, pour toute manifestation de la vie),  c’est à ce moment-là que tout peut arriver, le meilleur ou le pire.

Le temps peut brusquement changer de conjugaison, plonger dans les regrets du passé, basculer dans les illusions du conditionnel ou s’ouvrir au présent gagné.

Alors,

pour  toi, libellule en devenir,

pour toi, l’humaine personne,

écoute en silence

la prière du vent souffler sur les joues du jour naissant

surtout ne plus bouger,

souhaiter que rien, vraiment rien,

ne vienne troubler ce passage fragile de l’exuvie à l’imago

s’accrocher au silence bleu de la nuit,

s’accorder aux premières lueurs du jour,

tenir jusqu’à ce que le bouclier se déchire doucement,

laisser passer la tête la première,

sentir l’arc du corps se déployer,

laisser flotter les ailes dans l’air neuf,

accueillir les pattes fines et poilues,

croire en la chaleur promise pour sécher, durcir les ailes et révéler les couleurs,

rester là encore un peu,

oser se détacher déjà  des filaments de l’entre-deux,

sentir les ailes s’ouvrir d’un coup,

surprendre les regards qui ne t’ont pas vue pivoter,

jouer avec les effets de lumière et de transparence,

écarter ces peurs qui te feraient lâcher-prise et ne te relèveraient pas,

une pierre, une branche, une fiente d’oiseau, tombées du ciel,

les vibrations du sol sous les pas

le toucher mortel d’une main,

ne compter  que sur les premiers rayons du soleil pour déclencher l’envol,

vivre dans l’absolu cette expression qui dit que la vie ne tient qu’à un fil…

et enfin, savourer ce miracle en somme,

admirer ces demoiselles et filles de l’air qui s’élancent, souples et légères dans le vent, reviennent nous saluer d’un vol brièvement stationnaire, repartent déjà en rasant l’eau à toute berzingue,  se posent sur un perchoir de fortune, (bien le repérer celui-là, car elles y reviendront souvent !), cherchent compagne ou compagnon,  s’envolent au loin vers leurs nouvelles aventures…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

pour continuer, un film à voir : Chronique de libellules

des images inédites et extraordinaires, particulièrement sur la vie aquatique de la libellule !

voir un extrait ici

l’hymne aux moineaux

 

Etre le plus commun des passereaux, et plus largement des oiseaux, vivre gaiement près des humains sans en être effrayé, avoir un chant dépourvu d’une jolie mélodie  et user de toutes ses cordes pour brailler avec insistance près de qui veut bien l’entendre  ou pour mieux se faire remarquer, allez savoir, et, par conséquent, agacer les oreilles les plus délicates, ou mieux encore, proposer aux musiciens un métronome 100% naturel (très tendance !), être doté d’une double origine étymologique, ce qui n’est pas donné à tout le monde, qui hésite encore aujourd’hui entre l’évocation des variations chromatiques de l’habit qui fait le moine et la promesse d’un festin estival au moment des moissons, alors que ni l’une ni l’autre ne semble convenir à ces oiseaux si peu solitaires et pas autant glaneurs que les étourneaux ou autres bruants. Lire la suite

d’amour bleu

 

Cela ne dure que quelques jours en été. Soudain, la chaleur s’installe et plus rien ne bouge. Ou presque. C’est comme une nuit sans nuit. La chaleur éteint  le temps sur son passage. On soupire avec elle au mois d’août, la regrette déjà en novembre pour l’attendre vainement en avril. On la dit alors écrasante, presque verticale, tant elle chute sur nos élans. Elle retient notre souffle autant que le moindre de nos gestes. Elle s’abstient de nos paroles, étouffe le chant, écarte les sons, mis à part peut-être un crissement de pneus au loin. Elle a l’art de s’imposer là où l’ombre n’a plus de prise et de poser les couleurs à terre. Fade, pâle et gluante, elle invite au retrait, aux volets fermés et à la saveur retrouvée  d’un verre d’eau fraîche. Lire la suite

sur la route, la brume matinale

 

 

A la différence du brouillard, la brume matinale ne retire rien du paysage et ouvre en douceur les portes de la rêverie. Pendant la nuit étoilée, un nuage curieux a eu envie de changer d’air, de goûter la terre et d’y déposer en toute discrétion ses perles célestes. Puis, aux premières lueurs du jour, de soulever pudiquement son étole afin de révéler les secrets d’une campagne que nos habitudes négligent d’observer. Lire la suite