Ils sont nés de la dernière pluie. Ils se posent en silence sur un tapis de feuilles, se cachent dans les encoignures des arbres, grimpent sur une souche abandonnée et se contentent d’un peu de lumière pour animer les salons de l’automne. Ils fascinent qui les regarde, régalent qui les cuisine, hallucinent qui les convoite et affolent qui les craint.
Parfois, ils servent de solarium ou de toboggan aux derniers insectes de la saison. Lilliputiens ou sumos, ils sont de toutes les formes, de toutes les couleurs, tantôt chapeaux, tantôt lutins sortis de nulle part, parfois phalliques ou plutôt trampolines pour des feuilles acrobates.
Fragiles comme du papier de soie, gluants comme de la résine, suintants comme un soir de novembre, solitaires comme ces marins qui font le tour du monde, grégaires en fin de transhumance, ils signalent discrètement leurs présences d’un éclat de lampe allumée en fin de journée.
Au jardin, ils profitent de la trêve des tontes rapprochées pour s’ériger subitement dans l’herbe. Leur vélocité à grandir intrigue les végétaux voisins qui mettent tant de temps à lever, puis fleurir et s’offrir à la cueillette. Ils taquinent les assoiffés du potager qui réclament goulument des litres d’eau, quand eux se contentent d’une bruine, d’un ciel bas ou de la rosée matinale.
Ils perturbent, voire découragent, les néophytes tant ils sont nombreux et tous différents, fascinent les spécialistes en mycologie, inspirent les artistes, les architectes, étonnent les petits (et les grands aussi) qui cueillent là des bouffées d’automne dans les narines du temps, traversent des contes, des légendes, s’illustrent dans des expressions incontournables.
Prenons appuyer sur le champignon, là, il faut remonter au temps révolu des premières automobiles, lorsque l’accélérateur ressemblait à une moitié de pomme. Aujourd’hui, plus rien de ressemblant mais l’expression demeure, indifférente au temps qui passe et à la courtoisie élémentaire quand il est même fortement conseillé de lever le pied…
Incontestablement, ils seraient bien passés de l’iconographie atomique. Pathogènes, invisibles et informes quand ils attaquent insidieusement les feuilles de betteraves. Epidermiques, intestinaux lorsqu’ils démangent les humains.
Capables de coloniser des arbres, des haies entières, des arabesques de buis au point de les détruire irrémédiablement. Toxiques, venimeux, mortels, autant de dangers à retenir avant de les trancher d’un coup de serpette.
Ils alimentent les fantasmes, contribuent aux rites sacrés, symbolisent spirituellement la montée au ciel. Plus concrètement, ils sont de toutes les saisons, s’animent dès que l’humus s’attendrit et signalent un lopin de terre resté encore sauvage.
C’est finalement le plus important. Tout cela pour un champignon qui n’a rien demandé d’autre que de pousser comme… bon lui semble.
© sylvie blanc – l’envol des jours 2012
de merveille en merveille! je crois que celui-là est mon préféré
Merci Anne, heureuse que ces lampions sylvestres vous touchent…
Quelle fraicheur, quelle douceur, je sens cette nature que tu nous proposes… La vie ne tient qu’à un fil ou à une pluie… Vivons comme bon nous semble, une belle philosophie de vie… Merci Sylvie, c’est tellement bon de passer ce moment sur ton blog… j’aime beaucoup « à contempler » aussi… Je prendrais le temps d’y revenir…
Observer la nature dans son état sauvage est un temps passionnant et souvent nécessaire qui a le mérite de nous interroger sur la juste place des végétaux (leur biotope) et de nous inviter à l’humilité, la sagesse… A priori, on cultive peu les champignons. Leur présence discrète et tamisée est un signe, une indication qui nous aide à comprendre la qualité du sol par exemple, de la vie en général à cet endroit précis. Pourquoi poussent-ils là et pas ailleurs ?! Ils ont un « savoir » instinctif de se poser là où ils trouveront toutes les conditions pour être bien. Et de nous offrir en effet de quoi méditer ! Merci Christine pour ce que tu écris-là et bonne visite contemplative…
Ce n’est pas « chapeaux melons et bottes de cuir »,mais chapeaux pointus turlututu!
C’est la fête en forêt et dans les champs, il y en a qui dansent sur le cercle dessiné par la petite sorcière, il y en a qui montent dans les arbres et jouent à champignons perchés, d’autres qui jouent à cache-cache sous le tapis feuillu ou sous la mousse.
Quelle fête dans cette nature, que tu as si bien su saisir, Sylvie!
Chapeau, Gigi, pour cette douce et joyeuse évocation de nos jeux d’enfance ! Ils reviendront sûrement dans la cour de cette récréation, pour jouer à la marelle ou à l’élastique, allumeront encore leur lanterne pour jouer à un, deux, trois…soleil !