l’hôtesse de l’herbe

Lorsque les insectes sortent comme par enchantement de leur léthargie hivernale, ils trouvent tout de suite une place de choix au milieu de ce que la prairie, le jardin, les talus leur proposent. Ils sont attirés instinctivement vers une plante, … Lire la suite

pile ou face

  Avec élan, l’hiver, tu remplaces, Cette année, les degrés s’exilent, Il semblerait que tu le déplaces, Et notre moral devient versatile.   Ta douceur était bien trop fugace, Avril ne s’est pas découvert d’un fil, La pluie dans l’herbe … Lire la suite

buffalo green

Le capitaine serra fermement la main du pépiniériste. Ce dernier venait déposer en rang sur le quai les fruitiers destinés à traverser l’Atlantique. Les végétaux avaient belle allure et les caisses pour les transporter étaient rutilantes. Des malles en forme de maisons miniatures, avec une toiture ajourée, des bacs étanches pour retenir l’eau et tout un système judicieux de cales et de serrurerie afin de limiter le plus possible les conséquences d’une mer agitée.

Nous sommes au début du 20è siècle, la révolution industrielle continue sa route vers son apogée et sa chute, la guerre prochaine sillonne dans des souterrains que le peuple ignore, le commerce maritime s’inquiète de ces avions qui vont plus vite que les navires pour traverser les mers, le réseau ferroviaire s’amplifie et les barges restent beaucoup plus souvent à quai.

Le capitaine, responsable aussi du transport végétal, vérifie une dernière fois que les arbres et plantes sont bien protégés, arrosés et donne l’ordre de les embarquer au marin, jardinier à ses heures, qui s’occupe de tous les végétaux à bord. Préalablement, le pépiniériste avait garanti, pour éviter tout intrus, que le terreau broyé avec du compost avait été finement tamisé.

Seulement voilà, quand on est un as du camouflage et qu’on mesure 6 ou 7 millimètres, on peut facilement tromper la vigilance humaine et commencer en toute tranquillité sa première migration océanique. En effet, rien ne manque au membracide bison (retenez son nom !) pour vivre dans la cale d’un navire : de l’air chaud pour déployer les ailes, de la sève en abondance pour faire bombance (malheur à lui, puisqu’il sera vite considéré comme indésirable dans les vergers et les vignobles, et par conséquent, décimé sans vergogne par les pulvérisateurs empestés), une compagne pour se reproduire, et des feuilles pour se protéger du Gulliver à l’arrosoir.

C’est ainsi que ces insectes discrets débarquèrent dans le Sud de l’Europe, il y a à peine une centaine d’années. Pourtant vieux comme le monde, ce buffalo des friches est robuste au point d’être encore bien actif en automne, un brin farouche dès que vous approchez, plus rusé encore que le renard quand il tourne autour de la tige et vous lance le défi de le démasquer.

Décidément peu aimé et en plus doté d’un corps épais et disgracieux, d’un regard vitreux aux allures bovines, d’une barbichette qui se résume en trois ou quatre poils par-ci par-là et pour compléter le tableau d’un minois entêté, voire renfrogné.

Bref, un rebelle qui rend sa présence si attachante… quand on peut le voir ! Saisir cette chance pour observer ce berlingot qui grimpe à vive allure le long des tiges. S’arrêter un instant sur le parvis de Notre-Dame des Fleurs, entrer à pas feutrés dans la cathédrale des herbes folles, s’agenouiller devant la rosace d’un tournesol et découvrir enfin ce bossu qui n’a rien d’un misérable, révélant sous le soleil, les vitraux qu’il cache sous ses élytres. Et ainsi déceler toute la finesse de cette minuscule étoile qui a déjà filé…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

Pour en savoir plus sur le transport maritime des végétaux (avec photos des caisses) : ici

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de l’émergence à l’envol

de l’émergence à l’envol

Assister à l’éclosion du vivant est certainement l’émotion la plus bouleversante qui nous est donnée à vivre. Sans doute parce que tout l’avenir s’écrit dans l’intensité de ce présent, dans la lenteur qui s’appuie sur le temps qu’il faudra pour donner force et vigueur à cet instant unique. Peut-être aussi parce que, n’ayant aucun souvenir de notre premier souffle, nous recherchons sans cesse le goût de cette première respiration afin de comprendre ce que nous sommes et de donner sens à ce que nous vivons. De même, cette quête incoercible peut nous aider à accepter tous les cycles de la vie, tous, jusqu’au dernier.

Avant d’émerger, les libellules vivent depuis belle lurette sous forme larvaire au fond des eaux douces et vaseuses. Elles sèment déjà la terreur dans la mare en avalant cru tout ce qui bouge, d’où leur mauvaise réputation d’être de redoutables prédatrices !

Après des mois, voire des années, elles s’apprêtent à quitter le milieu aquatique pour commencer leur dernier cycle de vie et passer la belle saison dans l’atmosphère.

En regardant leur larve dotée d’une coque rabougrie, de couleur indéfinissable, et d’une tête globuleuse, il est bien difficile d’imaginer la réserve de beauté, de grâce et de couleurs blotties à l’intérieur. A moins de convoquer l’enfance, de faire revivre ce ravissement (et ce soulagement) lorsque Peau d’âne dévoile enfin son secret…

Pendant une nuit un peu plus chaude que les autres, les scaphandres décident de mettre le casque dehors et de se hisser sur le premier roseau venu. Quelques courageux tentent l’exploration de ce nouveau monde en choisissant alentour la délicatesse et le parfum d’une fleur… Mais l’heure est grave, le danger latent. Les amphibiens rôdent. Ils ont connu le désert des têtards et comptent bien prendre maintenant leur revanche. La guerre de la mare est déclarée. Bien camouflés dans la vase, ils guettent les nouvelles recrues. Ils n’ont surtout pas besoin de reflets dans leur œil d’or pour être prêts à bondir à la première occasion. Ici les crapauds n’attendent pas le baiser de la princesse, ni les grenouilles celui du prince. Et, pour les larves, impossible de faire pattes arrière.

Pour les odonates (et soit dit en passant, pour toute manifestation de la vie), c’est à ce moment-là que tout peut arriver, le meilleur ou le pire.

Le temps peut brusquement changer de conjugaison, plonger dans les regrets du passé, basculer dans les illusions du conditionnel ou s’ouvrir au présent gagné.

Alors,

pour toi, libellule en devenir,

pour toi, l’humaine personne,

écoute en silence

la prière du vent souffler sur les joues du jour naissant

surtout ne plus bouger,

souhaiter que rien, vraiment rien,

ne vienne troubler ce passage fragile de l’exuvie à l’imago

s’accrocher au silence bleu de la nuit,

s’accorder aux premières lueurs du jour,

tenir jusqu’à ce que le bouclier se déchire doucement,

laisser passer la tête la première,

sentir l’arc du corps se déployer,

laisser flotter les ailes dans l’air neuf,

accueillir les pattes fines et poilues,

croire en la chaleur promise pour sécher, durcir les ailes et révéler les couleurs,

rester là encore un peu,

oser se détacher déjà des filaments de l’entre-deux,

sentir les ailes s’ouvrir d’un coup,

surprendre les regards qui ne t’ont pas vue pivoter,

jouer avec les effets de lumière et de transparence,

écarter ces peurs qui te feraient lâcher-prise et ne te relèveraient pas,

une pierre, une branche, une fiente d’oiseau, tombées du ciel,

les vibrations du sol sous les pas

le toucher mortel d’une main,

ne compter que sur les premiers rayons du soleil pour déclencher l’envol,

vivre dans l’absolu cette expression qui dit que la vie ne tient qu’à un fil…

et enfin, savourer ce miracle en somme,

admirer ces demoiselles et filles de l’air qui s’élancent, souples et légères dans le vent, reviennent nous saluer d’un vol brièvement stationnaire, repartent déjà en rasant l’eau à toute berzingue, se posent sur un perchoir de fortune, (bien le repérer celui-là, car elles y reviendront souvent !), cherchent compagne ou compagnon, s’envolent au loin vers leurs nouvelles aventures…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

pour continuer, un film à voir : Chronique de libellules

des images inédites et extraordinaires, particulièrement sur la vie aquatique de la libellule !

voir un extrait ici

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d’amour bleu

d’amour bleu,

Cela ne dure que quelques jours en été. Soudain, la chaleur s’installe et plus rien ne bouge. Ou presque. C’est comme une nuit sans nuit. La chaleur éteint le temps sur son passage. On soupire avec elle au mois d’août, la regrette déjà en novembre pour l’attendre vainement en avril. On la dit alors écrasante, presque verticale, tant elle chute sur nos élans. Elle retient notre souffle autant que le moindre de nos gestes. Elle s’abstient de nos paroles, étouffe le chant, écarte les sons, mis à part peut-être un crissement de pneus au loin. Elle a l’art de s’imposer là où l’ombre n’a plus de prise et de poser les couleurs à terre. Fade, pâle et gluante, elle invite au retrait, aux volets fermés et à la saveur retrouvée d’un verre d’eau fraîche.

Etre au milieu d’une friche au zénith de ces jours d’été devient alors une expérience singulière. Comme franchir une limite, transpercer le mur du silence, s’engouffrer dans une ébullition d’ailes froissées, d’élytres percussifs et de butinages tous azimuts. Ces vibrations allègent l’air et on peut risquer de poser ses pas tout doucement près des hautes tiges. Il ne reste plus qu’à se fondre dans cette suractivité, à ne plus bouger pour observer et écouter toute la vie qui grouille autour de soi. Les insectes jubilent. Leur vie virevolte d’une fleur à une autre, leur bien-être pétille sur les pétales. L’été se concentre enfin et bourdonne de joie. Le ciel danse sous ces arabesques minuscules. La terre reste bien vivante !

A deux pas de là, la couleur bleue entre en scène discrètement. Un bleu tendre et doux se détache et retient toute l’attention. Viennent ces mots posés sur les pages d’un livre : « le bleu ne fait pas de bruit » *. L’amour non plus. Des mots sur une page, des ailes sur une tige, la vie est légère. Cette vie qui circule. Cette vie qui rassemble. Et continue. Deux papillons d’azur s’accouplent en silence. Rien ne les dérange. Ils sont là, de passage, pour transmettre un peu de leur vie brève. Et transformer la chaleur en émerveillement. Le cycle de vie d’un papillon, comme le nôtre, n’est que métamorphoses.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

 

* Livre de chevet : Une histoire de bleu © Jean-Michel Maulpoix

Editions Mercure de France ou Poésie Gallimard (format poche)

à suivre sur le site de Jean-Michel Maulpoix

 

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