Toute aussi présente, mais beaucoup moins appréciée, que le chocolat, l’horloge fleurie, le jet d’eau, le fromage, les montres, les trains qui arrivent à l’heure, les cygnes, les crayons Caran d’Ache® et les banques, la bise est pourtant un emblème incontournable du bassin genevois. Les guides ont choisi d’ignorer ce phénomène récurrent alors que le spectacle vaut le détour… Forte, modérée, faible, franche quand il fait beau, on la nomme noire quand il pleut, peu importe car la bise reste un vent glacial qui a le don de tout balayer sur son passage, de laisser les bateaux à quai et de retrancher les plus téméraires au fin fond de leur cache-col. Ainsi les passants deviennent comme des fourmis dans les rues, sur les ponts. Ils tentent de trouver un chemin en s’agitant dans tous les sens. Le vent couvre les sons et les sens, il n’est plus nécessaire ni de parler, ni de se taire. La bise domine l’atmosphère.
La bise traverse le lac à vive allure, puis s’engouffre dans le couloir du fleuve comme elle pénètre dans la laine, puis de l’épiderme jusqu’aux os. Elle griffe les joues et le souffle au point de le retenir dans un soupir qui l’indiffère totalement. Rien ne sert de courir, encore faut-il arriver au but en évitant d’être plaqué au sol. Elle décoiffe la tranquillité helvétique, si convoitée, et donne un coup de fouet à la lenteur qui, vue de l’extérieur, lui colle encore injustement à la peau. Un malentendu que les guides feraient bien de rectifier dare-dare !
La bise métamorphose le lac en un océan miniature qui se fracasse contre les rives, les blocs de pierre, les récifs, pour offrir au promeneur courageux un spectacle qui le ravigote d’un coup. Le jet d’eau fait relâche au grand dam des touristes (ce qui explique sans doute la frilosité des guides à ce sujet…). L’eau change de palette pour aborder sans scrupule les bleus marins et laisser ses camaïeux gris aux heures irisées. L’écume souligne chaque vague, jaillit de tous ses éclats là où le clapotis ordinaire berce le regard et les pensées. Marquant la fin d’une perturbation, la bise est un soulèvement.
Les mouettes qui barbotent habituellement en bord de rade font du surplace au-dessus des vagues en nous offrant un ballet coordonné à la plume près. Elles piquent parfois du bec dans l’écume pour bien vite remonter, ni trop haut, ni trop bas. Leur présence groupée et inhabituellement silencieuse tranche avec la fureur de l’eau, les rafales de l’air, la solitude des êtres coincés dans l’étau du froid et du vent. A regarder ces envols légers et vaillants, l’âme se dégourdit, épouse ces ondulations de plumes, offre au regard un point d’accroche, une blancheur ferme, face à tout ce qui vacille et fait rage alentour.
En la photographiant à une vitesse volontairement ralentie, je tente de la retenir, de percer son secret. Ainsi saisie, la bise déploie sa force, décuple sa puissance, décape le temps. Et laisse trace de son passage vigoureux. Je cherche une approche humaine. Celle qui se rapproche de ce que peuvent capter nos yeux de ce tumulte, de ce qui peut gonfler notre souffle de ce combat. Face à ce déferlement, nous sommes si fragiles, si petits, si présents. Alors que la tempête est une machine à broyer, à engloutir, à tuer, la bise se contente, malgré sa démesure, d’affleurer nos peurs et nos écueils.
La bise, qu’elle soit hivernale ou printanière, s’installe quelques jours, par multiple de trois paraît-il, puis disparaît comme elle était venue, sans crier gare. Le lac retrouve alors son miroir, le ciel, son stratus, les pêcheurs, leur manne lacustre, la ville, sa rumeur et les passants, le rythme de leurs élans. La bise circule encore dans les mémoires, les dialogues, les images. Quant aux mouettes, elles abordent ce calme revenu avec l’espoir d’un retour, celui d’une bouchée de pain lancée d’une main bienveillante. A les regarder ainsi rassemblées pour fêter ce passage, j’ai choisi l’une d’entre elles pour vous transmettre mon message, toutes ailes déployées, et vous faire la bise du Nouvel An !
© sylvie blanc – l’envol des jours 2014
Chère Sylvie,
Le texte et les photos sont tellement beaux qu’on a presque envie d’y être
dans cette bise à Genève !
Moi aussi je te fais la bise pour cette nouvelle année !
Béatrice
merci chère Béatrice d’être déjà là pour inaugurer l’année… tant mieux si cette bise genevoise te plaît. bien reçue la tienne! bises 😉
Une bise, une bise revigorante, avec des nez rouges, des dos courbés, des mains qui se tendent comme pour saisir l’espoir, tout l’espoir des jours meilleurs et puis des oiseaux plein d’oiseaux, pour faire beau, le ciel tout gris.
Merci Sylvie de ta bise que je te donne moi aussi,avec tendresse.
Gigi
toujours imaginative, Gigi, et c’est tant mieux car je me régale en te lisant! bien reçu ta bise, reçois la mienne, avec tendresse aussi 😉
La signature du temps, des temps… Ces temps qu’il t’aura fallu cette année… Et puis une bise, celle de l’espérance. Parce que même si elle nous refroidit parfois, elle est aussi au moment où elle se pose sur la joue, la preuve d’un vrai moment chaleureux…
Bise à toi Sylvie et merci pour ces temps ralentis dans ce monde qui veut aller trop vite sans regarder ce qu’il se vit d’essentiel, un vol, une vague, la naissance d’une belle et douce année… 😉
merci Christine pour ces mots qui me touchent et de relever cette lenteur qui m’est indispensable pour vivre, observer la nature, cultiver un lien… et pour ta bise bien reçue et que je te retourne 🙂
Merci Sylvie pour ces somptueuses vagues de vent et belle année à toi aussi!
Ravie que ces effets de bise te plaisent! Merci Blandine pour ta visite et tous mes voeux pour toi 🙂