Certains animaux vivent la plupart du temps à notre insu et profitent de nos heures de sommeil pour mener à bien leurs activités et leur reproduction. Ainsi en est-il de la vie nocturne, parfois crépusculaire, des amphibiens qui attendent le retrait de la vie humaine pour sortir de leur tanière, quitter ce répit paisible, aller vers le désir, et affronter, vaille que vaille, moult dangers, comme le passage, hélas trop souvent meurtrier, de nos véhicules noctambules, avant d’approcher la mare, la flaque ou l’étang qui leur serviront de maternité collective.
Le jour venu, quelque chose a changé. Un mystère vite résolu mais tout aussi fascinant que la levée d’une graine. La surface de l’eau est boursouflée sous l’effet des pontes phénoménales qui ont eu lieu pendant la nuit. Elles attestent que la migration printanière des amphibiens a commencé en coïncidant avec un redoux tant attendu qui achève l’hiver. Leur passage discret porte à lui seul l’élan qui soulève chaque être à l’approche du printemps, sans précipitation mais avec une endurance qui ne trompe personne.
Les grenouilles rousses et agiles ouvrent le bal, déposent leur ponte, font trois petits tours et puis s’en vont. Elles ne couvent pas leurs œufs qu’elles laissent s’agglutiner à la va-comme-je-te- pousse, et arrivera ce qui arrivera. Lorsque l’eau est peu profonde, il reste un magma gélatineux qui stagne entre l’eau et le ciel, formant ainsi une île minuscule au cœur de la verticalité forestière. Bientôt, viendront les crapaudes. Elles s’immisceront dans cette vase déjà surpeuplée pour y déposer un chapelet d’œufs le long de la végétation subaquatique.
Comme à l’accoutumée, être à plat ventre (tenue de pêcheur vivement recommandée !) est le meilleur moyen pour observer ce qui soulève l’eau au point d’attirer une brillance inhabituelle sur ces monticules pourtant à peine visibles. La luminosité peut être faible et l’environnement peut tromper son monde. La pluie et le vent ont transformé les abords des flaques en un marécage couvert d’un tapis de feuilles mortes, enchevêtré les ronces, recueilli des branches tombées, enseveli des racines protubérantes, donc prudence en marchant, pas après pas, chercher l’assise, histoire de ne pas glisser, ni de s’encoubler comme on dit en Suisse Romande ou de s’enfoncer ! et surtout, surtout, éviter de marcher sur les œufs…
Une fois cet équilibre atteint et le risque écarté d’une omelette fatale, vous pourrez admirer ce paysage aux montagnes arrondies, où, ô surprise, les collemboles s’en donnent à cœur joie, en arpentant sans déraper (quelle maitrise étonnante !) et à une vitesse folle, ces collines gluantes, puis en glissant sans encombre comme sur des toboggans. Un jeu d’enfants ! Les œufs les accueillent sans broncher, leur servent de radeau quand l’eau se déchaîne sous un léger coup de vent. Quelques araignées trouvent cette patinoire bien douce pour dégourdir leurs pattes après un hiver sous terre. La vie renaît dans la forêt avant même les fleurs et les chants d’oiseaux.
Laissons un instant ce square aux collemboles qui se livrent à un gymkhana défiant toute concurrence et aux araignées qui s’amusent à tester l’élasticité de ce trampoline printanier, pour s’émerveiller de l’effet de miroir sur les sommets de ces mamelons. La transparence, la réfraction et la laque brillante permettent aux arbres gigantesques de déposer leur canopée et leur tronc en miniatures, telles des coiffes sur un crâne dénudé, tout en captant au passage votre reflet qui devient de fait lilliputien, histoire de rappeler à l’ordre tout excès de narcissisme… Voilà, une fois de plus, une merveilleuse pirouette que nous offre la nature !
Et pendant ce temps, les cellules des futurs têtards se divisent et se divisent encore, dans une paix fragile, pour nous raconter le miracle de la vie, tout en nous faisant presque un clin d’œil…
© sylvie blanc – l’envol des jours 2014
Très drôle le titre, joli clin d’oeil aux courses folles, enfants, quand nous allions pêcher les têtards dans les fossés et les mares de Bretagne, où je suis revenue passer un temps…
Merci Sylvie pour ce voyage nature poétique… Tes photos sont magnifiques…
que tu sois sortie de ta cabane pour venir ici avec une évocation de l’enfance, cela me touche beaucoup! merci Christine, et tant mieux si ce voyage dans le minuscule te plaît 🙂
bravo, une fois de plus mais pour moi j’aime mieux les oiseaux,il y a plus de rêve
à quand ton séjour à Tronçais ? une autre expo!
à bientôt peut être, je t’embrasse ton cousin Robert
Oh Robert, ta visite me fait plaisir! merci pour le compliment. tu sais comme je partage ton amour pour les oiseaux… Tronçais, début mai je te fais signe et t’embrasse!
Mon amour des amphibiens est très limité, toutefois je ne peux que saluer tes
photos, que je devine mouvantes et très poétiques.
Quand tu parles des futurs têtards, cela évoque pour moi l’enfance, les échappées à bicyclette au Vésinet, au lac des ibis et les têtards que je prenais avec mes mains pour les rapporter dans un seau vers mon petit bassin
que j’avais fabriqué, dans le jardin familial.
Merci Sylvie de ce parfum d’enfance.
ce parfum d’enfance… eh oui nous avons tous ce souvenir de voir les têtards gigoter dans la mare! ils ne vont pas tarder à apparaître d’ailleurs!écouter le chant d’amour des grenouilles monter dans le soir, quand tout s’apaise, est pour moi un moment si émouvant… merci Gigi pour tes impressions toujours justes!
insolite et surprenant. un univers qui m’est totalement inconnu. et je m’émerveille une fois de plus de tes connaissances et de ta patience…
merci pour ce microcosmos
merci Anne pour votre visite ici, oui la nature à nos pieds réserve bien des surprises pour nos yeux!