du sable pour écrin

du sable pour écrin

 

Le jour s’est déjà levé derrière la colline. Sur la plage, le temps tousse encore dans la brume de l’aube. La mer s’étire vers l’ouest et le sable grisonnant s’étale jusqu’au large. C’est le temps de l’estran, de la marée basse, de la lumière rase. Rigoles, canaux et dunes miniatures proposent leur miroir au ciel pâle. A cette heure du passage entre la nuit et le jour, la plage respire en solitaire, se repose en sauvage, dépose ses histoires et ses secrets. Ses messages de plage abandonnée, ses bouteilles décapsulées et ses trésors cachés.

Ceux qui ont profité de la nuit pour noyer leur ivresse et leurs palabres viennent de quitter les lieux en prenant la plage pour une décharge et le mépris pour signature. Il est encore trop tôt pour les premiers baigneurs qui s’offrent à la mer par tous les temps. Les tracteurs nettoyeurs, cavaliers, promeneurs de chiens et pêcheurs ne sont pas encore arrivés.

Pourtant, malgré le vol des oiseaux et le roulis des vagues, la plage est silencieuse. Le silence et la solitude. Tout ce qui donne force intime au jour qui commence.

Il n’y a plus qu’à attendre, lever les yeux vers les ailes des goélands. Attendre qu’ils annoncent la couleur. Surprendre les premiers scintillements sur les vaguelettes et les pépites de sable à ses pieds.

Arrive un chercheur d’or avec une soucoupe sur un manche à balai. Pourtant, ce qu’il va faire n’est pas sorcier. Il est là pour détecter d’éventuels oublis et faire fortune avec piécettes, bagues et autres breloques tombées dans les sables mouvants. Avec patience et obsession parfois, dues sans doute à l’attrait du gain, muni de son détecteur, il passe la plage au peigne fin. Son obstination doit être payante car chaque matin il recommence son balayage. Dommage qu’il ne profite pas de cette inspection méticuleuse pour ramasser les détritus… Il serait certain de ne pas rentrer les mains vides !

Nous nous regardons de loin, sans mot dire. Nous sommes là pour ne pas être dérangés. Ses écouteurs calés dans les oreilles m’avertissent et retiennent toute possibilité d’échange. Nous sommes là pour trouver les bijoux de la plage. A chacun sa méthode. Après, tout est relatif à la valeur des choses et du temps consacré à leur recherche. J’ignore s’il comprend la raison de ma présence à plat ventre sur le sable mouillé. Peut-être se dit-t-il que la plage en a vu d’autres, qu’il vaut mieux ne pas trop s’arrêter à de telles broutilles, tant qu’on ne lui pique pas son territoire. Pour cela, il n’y a aucun risque, le sable sec ne m’intéresse pas ce matin. Et pour tout l’or du monde, je n’échangerais pas ma place contre la sienne. La vie des gens…

Soudain, le soleil envoie ses premiers rayons et dévoile peu à peu les fantômes du sable. Il brille dans les mirettes de l’émerveillement et libère chaque coquillage de sa parure d’or, de reflets et de sable.

L’homme aux écouteurs poursuit sa quête de pacotilles, inlassablement. Le ciel vire au bleu. La plage s’adonne maintenant à tous ceux qui arrivent et qui ont tous leurs raisons de se trouver là ce matin. Ce qui ne les empêche pas d’écraser bruyamment les diadèmes que la mer avait posés en silence.

Il est temps pour moi de quitter la plage. Il a suffi de quelques minutes à peine pour amasser un butin d’une valeur inestimable.

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

 

 

 

 

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de l’émergence à l’envol

de l’émergence à l’envol

Assister à l’éclosion du vivant est certainement l’émotion la plus bouleversante qui nous est donnée à vivre. Sans doute parce que tout l’avenir s’écrit dans l’intensité de ce présent, dans la lenteur qui s’appuie sur le temps qu’il faudra pour donner force et vigueur à cet instant unique. Peut-être aussi parce que, n’ayant aucun souvenir de notre premier souffle, nous recherchons sans cesse le goût de cette première respiration afin de comprendre ce que nous sommes et de donner sens à ce que nous vivons. De même, cette quête incoercible peut nous aider à accepter tous les cycles de la vie, tous, jusqu’au dernier.

Avant d’émerger, les libellules vivent depuis belle lurette sous forme larvaire au fond des eaux douces et vaseuses. Elles sèment déjà la terreur dans la mare en avalant cru tout ce qui bouge, d’où leur mauvaise réputation d’être de redoutables prédatrices !

Après des mois, voire des années, elles s’apprêtent à quitter le milieu aquatique pour commencer leur dernier cycle de vie et passer la belle saison dans l’atmosphère.

En regardant leur larve dotée d’une coque rabougrie, de couleur indéfinissable, et d’une tête globuleuse, il est bien difficile d’imaginer la réserve de beauté, de grâce et de couleurs blotties à l’intérieur. A moins de convoquer l’enfance, de faire revivre ce ravissement (et ce soulagement) lorsque Peau d’âne dévoile enfin son secret…

Pendant une nuit un peu plus chaude que les autres, les scaphandres décident de mettre le casque dehors et de se hisser sur le premier roseau venu. Quelques courageux tentent l’exploration de ce nouveau monde en choisissant alentour la délicatesse et le parfum d’une fleur… Mais l’heure est grave, le danger latent. Les amphibiens rôdent. Ils ont connu le désert des têtards et comptent bien prendre maintenant leur revanche. La guerre de la mare est déclarée. Bien camouflés dans la vase, ils guettent les nouvelles recrues. Ils n’ont surtout pas besoin de reflets dans leur œil d’or pour être prêts à bondir à la première occasion. Ici les crapauds n’attendent pas le baiser de la princesse, ni les grenouilles celui du prince. Et, pour les larves, impossible de faire pattes arrière.

Pour les odonates (et soit dit en passant, pour toute manifestation de la vie), c’est à ce moment-là que tout peut arriver, le meilleur ou le pire.

Le temps peut brusquement changer de conjugaison, plonger dans les regrets du passé, basculer dans les illusions du conditionnel ou s’ouvrir au présent gagné.

Alors,

pour toi, libellule en devenir,

pour toi, l’humaine personne,

écoute en silence

la prière du vent souffler sur les joues du jour naissant

surtout ne plus bouger,

souhaiter que rien, vraiment rien,

ne vienne troubler ce passage fragile de l’exuvie à l’imago

s’accrocher au silence bleu de la nuit,

s’accorder aux premières lueurs du jour,

tenir jusqu’à ce que le bouclier se déchire doucement,

laisser passer la tête la première,

sentir l’arc du corps se déployer,

laisser flotter les ailes dans l’air neuf,

accueillir les pattes fines et poilues,

croire en la chaleur promise pour sécher, durcir les ailes et révéler les couleurs,

rester là encore un peu,

oser se détacher déjà des filaments de l’entre-deux,

sentir les ailes s’ouvrir d’un coup,

surprendre les regards qui ne t’ont pas vue pivoter,

jouer avec les effets de lumière et de transparence,

écarter ces peurs qui te feraient lâcher-prise et ne te relèveraient pas,

une pierre, une branche, une fiente d’oiseau, tombées du ciel,

les vibrations du sol sous les pas

le toucher mortel d’une main,

ne compter que sur les premiers rayons du soleil pour déclencher l’envol,

vivre dans l’absolu cette expression qui dit que la vie ne tient qu’à un fil…

et enfin, savourer ce miracle en somme,

admirer ces demoiselles et filles de l’air qui s’élancent, souples et légères dans le vent, reviennent nous saluer d’un vol brièvement stationnaire, repartent déjà en rasant l’eau à toute berzingue, se posent sur un perchoir de fortune, (bien le repérer celui-là, car elles y reviendront souvent !), cherchent compagne ou compagnon, s’envolent au loin vers leurs nouvelles aventures…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

pour continuer, un film à voir : Chronique de libellules

des images inédites et extraordinaires, particulièrement sur la vie aquatique de la libellule !

voir un extrait ici

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l’hymne aux moineaux

l’hymne aux moineaux

Etre le plus commun des passereaux, et plus largement des oiseaux, vivre gaiement près des humains sans en être effrayé, avoir un chant dépourvu d’une jolie mélodie et user de toutes ses cordes pour brailler avec insistance près de qui veut bien l’entendre ou pour mieux se faire remarquer, allez savoir, et, par conséquent, agacer les oreilles les plus délicates, ou mieux encore, proposer aux musiciens un métronome 100% naturel (très tendance !), être doté d’une double origine étymologique, ce qui n’est pas donné à tout le monde, qui hésite encore aujourd’hui entre l’évocation des variations chromatiques de l’habit qui fait le moine et la promesse d’un festin estival au moment des moissons, alors que ni l’une ni l’autre ne semble convenir à ces oiseaux si peu solitaires et pas autant glaneurs que les étourneaux ou autres bruants.

Faire le gros dos à toute tentative anthropomorphique à propos de sa cervelle ou de son appétit, porter un sobriquet d’honneur en mémoire de la môme Edith (ou l’inverse ?), être domestique, friquet ou encore cisalpin, peu importe puisque les enfants diront cui cui ou piou piou, en voyant la joyeuse bande sautiller dans l’herbe, picorer les miettes sur la table ou barboter dans une flaque!

Avoir ce don d’ubiquité, urbaine et campagnarde, pour n’échapper à personne, y compris dans les endroits les plus hideux, comme une station service sur l’autoroute, s’accoupler en quelques secondes, vivre à deux harmonieusement dans la différence des plumes, bâtir son nid avec tout ce qui traîne, tout en ayant une nette préférence pour le duvet des autres, être celui qu’on ne peut ignorer mais qu’on observe si peu, pire qu’on regarde à peine…

 

Etre d’une générosité inégalée à l’égard du photographe (qui ne doit surtout pas piaffer d’impatience), en lui offrant de respirer l’air libre plutôt que d’être confiné dans un affût, de profiter de la dernière mode plutôt que d’être engoncé en tenue de soldat, avouez que c’est plus seyant ! (préférer tout de même des chaussures confortables), de pouvoir tranquillement bidouiller ses réglages et enfin de lui éviter de revenir bredouille grâce à la garantie de le trouver partout où ses pas le mènent…

 

Un oiseau de rêve, en somme ! à qui on peut bien pardonner de piquer une framboise ou une baie de cassis dans nos jardins et qui mérite amplement son hymne :

 

 

 

(à la manière d’Edith)

Quand je vous regarde tout bas

Les moineaux de tous les jours,

Vous me faites quelque chose.

Vous êtes entrés dans mon cœur,

Une part de bonheur

Dont je connais la cause…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2012

 

 

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