l’hôtesse de l’herbe

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Lorsque les insectes sortent comme par enchantement de leur léthargie hivernale, ils trouvent tout de suite une place de choix au milieu de ce que la prairie, le jardin, les talus leur proposent. Ils sont attirés instinctivement vers une plante, que l’on qualifiera de plante hôte si elle recueille leur ponte puis leur nymphose. Repérer ces plantes pouponnières est un moyen agréable et rapide pour espérer trouver l’insecte recherché.

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La diversité des espaces encore sauvages offre un spectacle varié selon les espèces, les heures du jour, les saisons. Parmi les plantes les plus convoitées, l’ortie occupe sans aucun doute le haut du palmarès. D’après les coccinelles, qu’elles soient, à sept points ou asiatiques, elle mérite pour le gîte et le couvert au moins cinq étoiles !

hôtesse herbe 3

Oui, l’ortie est une plante au grand cœur ! Les passants ailés, comme ce grand collier argenté, l’ont bien compris quand s’abritent sous ce large parapluie et s’accrochent avec délicatesse aux feuilles crantées qui leur permettent de caler leurs pattes si fines comme dans des starting-blocks et donc de leur faciliter un décollage immédiat dès le retour du soleil…

hôtesse herbe 4

Pour d’autres, à l’image de cette larve de decticelle cendrée, ses larges feuilles sont comme un berceau confortable pour leurs quelques millimètres, un hamac qui les repose d’une mue récente, une escale entre deux cycles larvaires. Les poils urticants n’ont pas l’air de les gêner outre mesure…

hôtesse herbe 5

Regardez comme cette chenille hérissonne, qui se métamorphosera bientôt en une écaille martre, nous nargue en avalant tout cru les feuilles d’ortie. Imaginez un peu si nous devions faire comme elle… Croquer à pleines dents ces feuilles poilues… Lesquels poils agissent au moindre contact comme des ampoules ultra minuscules qui se décapsulent d’un coup sec et déversent sur notre tendre épiderme quantité d’acides divers et variés…

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En tout cas, il y en a au moins un qui s’amuse de nous voir gantés jusqu’au cou ! Le téléphore moine fait le pitre en nous regardant désherber le centre du massif. Car, c’est important de le souligner, l’ortie, qui, au passage, déteste la solitude, choisit toujours le plus bel endroit, juste à côté des ancolies par exemple, pour former un buisson, bien compact, histoire de tromper l’ennemi qui cherche à endiguer vaille que vaille ses racines rhizomiques. Il est vain d’espérer s’en débarrasser car ses graines enfouies passent parfois des années dans la terre avant de germer…

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Quant à l’escargot, il profite de la rosée matinale pour continuer son chemin, explorer lentement du bout de ses antennes ce labyrinthe des hautes tiges, glisser sur la feuille sans être perturbé le moins du monde, alternant descente et ascension pour passer d’une plante à l’autre, le tout, avec cette auto-défense qui le protège dès que vous pousser les orties d’un revers de main… de mamie ou pas encore !

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A propos de grand-mère… et de ses remèdes, les vertus médicinales de l’ortie sont connues depuis l’Antiquité. Elle était vénérée au Moyen-Age pour lutter contre l’anémie. Ce qui est toujours le cas aujourd’hui. On l’utilise pour ses qualités fortifiantes, dépuratives, diurétiques etc. Rivale de l’épinard, les livres de cuisine proposent des recettes variées, faciles et nourrissantes. En cas de disette, il faudra bien y revenir…Et puis, au jeu de qui s’y frotte (ce qui n’est pas le cas de ce coléoptère de la famille des Elateridae (je ne connais pas son petit nom alors si un entomologiste passe par là…), la nature offre un joker. Froissez quelques feuilles de menthe sur la ou les piqûres d’ortie, ces petits tracas bien désagréables seront ainsi vite oubliés…

hôtesse herbe 9

Ainsi, l’ortie accueille environ 120 espèces (ce qui me laisse de la marge !), dont celle-ci, mystérieuse, qui a confectionné, avec une dextérité stupéfiante, son nid en le capitonnant de terre et de résidus organiques, une araignée peut-être. Voilà une tige qui a vu la bâtisseuse faire des allers et retours incessants se servant de ces tiges comme une grue pour construire sa nacelle, qui la protègera du vent, des prédateurs, de la pluie aussi.

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Avec un effet de miroir entre les roses et les orties, Francis Cabrel égraine ses mots de poète et chante admirablement notre condition d’humains, à la recherche de ce fragile équilibre qui alterne nos jours comme le fléau de cette balance tempérant sans cesse nos vies. Posée sur une feuille, cette jolie demoiselle, en l’occurrence un agrion mâle, s’en balance complètement de nos états d’âmes…sauf peut-être pour nous dire, avec élégance, que la présence d’orties dans un jardin est une bénédiction ! Elle indique un sol frais et riche en matière organique, aussi un terrain pollué par le fer, d’où son abondance près des rails… De mai à juin, avant la montée en graine, ses feuilles sont récoltées pour être macérées dans une bassine pendant quelques jours (ne pas oublier de couvrir car l’odeur ainsi dégagée peut-être momentanément nauséabonde !). Le purin d’ortie est un élixir précieux pour favoriser la croissance des plantes, ou pour l’aider à retrouver du tonus après une attaque fongique, un épisode caniculaire, nos absences estivales. Le jardin ne fonctionne pas en mode binaire, il vit en harmonie, les roses ont besoin du purin d’ortie pour se fortifier, les orties attirent les coccinelles qui,, d’un coup d’élytres, iront sur les roses pour décimer les pucerons etc etc… Les jardiniers qui sont souvent des humanistes l’ont bien compris, ils accueillent les orties et les roses à bras couverts…

© sylvie blanc – l’envol des jours 2013

 

pour continuer :

un site pour en savoir plus sur l’ortie : ici

et

écouter la chanson de Francis Cabrel : les roses et les orties


Commentaire

l’hôtesse de l’herbe — 12 commentaires

  1. Magnifique… Un régal en prenant un petit déjeuner dans la nature avant d’aller sillonner un parc national… J’en gardais un très mauvais souvenir étant tombée dans un champ, enfant, en faisant du vélo… Un jour on m’a fait gouter une soupe, une merveille… Alors si en plus c’est le 5 étoiles des coccinelles, nous voilà réconciliés à vie… Merci Sylvie pour ces très beaux voyages au milieu de ce monde si proche que l’on ne regarde pas assez… Bon week end nature et bel été à toi…

    • Merci Christine pour ce que tu écris-là, cela me touche beaucoup ! Je te souhaite aussi un bel été en Afrique près des visages, des animaux et des plantes. Le monde lointain est plein de merveilles, grâce à ton tour du monde et ton regard attentif, tu contribues à nous les faire découvrir…

  2. quelle finesse! et je suis tjrs ébahie devant la richesse de ton vocabulaire en ce qui concerne faune et flore. l’escargot est « trop mignon » comme dirait ma petite-fille. connais-tu sa définition ? c’est une limace qui a accédé à la propriété… quant aux orties je ne
    connaissais que la soupe spécialité de Luc qui les ramasse en bord de Moselle . bravo et bel été pas trop pourri j’espère du moins pour le temps

    • J’adore cette définition de l’escargot ! Avec cette pluie abondante, ils sont très présents cette année… espérons que l’été sera tout de même meilleur, je vous le souhaite, merci Anne pour votre présence ici

  3. Ah! Sylvie, comme c’est beau et délicat! La surprise est chaque fois au rendez-vous! Les insectes et toute la flore qui les accueille sont magnifiés par tes images et tes mots. Et quelle tendresse pour tout ce petit monde discret et plein de magie! Découvrir que l’ortie mal aimée fait office de pouponnière, c’est fabuleux!

    • Merci Christiane, quel plaisir de te trouver là ! Il se passe tant d’évènements silencieux et minuscules tout près de nous, alors en être soudain témoin est un privilège rare et tellement émouvant. Dame ortie mérite toutes ses lettres de noblesse, à suivre dans ton jardin…

  4. Que de découvertes!
    Accueillir en son sein la ponte, puis la nymphose de tous ces petits insectes, je comprends mieux maintenant, pourquoi l’ortie a des feuilles urticantes,lançant un défi à ceux qui la toucheraient, car les biens qu’elle protège, sont pour elle très précieux.Je me souviens encore des brûlures sur les jambes, lorsque enfant, je jouais à cache-cache dans les hautes herbes, pestant pendant de longues heures.
    Aussi Sylvie si le sujet traité est attrayant, il n’en est pas moins piquant.
    Merci.

    • Merci Gigi pour ta présence et ton humour! A lire tous les commentaires, je vois que l’ortie attire bien des souvenirs d’enfance. Que ne donnerait-on pas pour les revivre, même avec ses piqûres ! Aujourd’hui, les orties nous racontent leurs histoires intimes et tous les bienfaits qu’elles peuvent nous offrir… pour mieux vieillir !

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